jeudi 10 janvier 2013

Le viol de Delhi risque d'enfermer encore un peu plus l'Indienne des campagnes




NEW DELHI, 09 jan 2013 (AFP) - Le viol collectif d'une étudiante à New Delhi a poussé dans les rues de la capitale des milliers d'Indiennes qui réclament sécurité et respect. Mais dans les villages des campagnes, à forte tradition patriarcale, les femmes risquent surtout d'être encore plus surveillées et entravées.
Le conseil de Khedar, un village de l'Etat de l'Haryana (nord), a décidé ce week-end d'interdire "les chansons vulgaires" aux mariages, le port de jeans et de T-shirts par les femmes, et les téléphones portables pour les écolières. 

"Les chefs du village se sont réunis dimanche car ils étaient choqués de ce qui s'est passé à Delhi. Si un viol collectif peut se produire à Delhi, il peut également y en avoir ici", a indiqué par téléphone à l'AFP Shamsher Singh, le chef de la communauté.
"Dans les villes, les filles peuvent porter ce qu'elles veulent, mais notre village est petit. Si une fille commence à se vêtir à l'occidentale, toutes voudront le faire". 

Le viol collectif le 16 décembre d'une jeune femme de 23 ans, qui a succombé quelques jours plus tard à ses blessures, a suscité manifestations et amples commentaires dans la presse, laissant espérer que ce fait divers particulièrement ignoble pourrait représenter un tournant dans les rapports aux femmes.
Mais le poids des traditions patriarcales dans les villages --où vivent les deux-tiers des 1,2 milliard d'Indiens-- est un rappel à la réalité. Pour beaucoup de villageois, l'affaire de Delhi prouve l'influence néfaste d'une occidentalisation du mode de vie, un terme qui recouvre les vêtements jugés provocants, une musique à tonalité sexuelle et les femmes qui s'affirment. 

L'étudiante de Delhi sortait du cinéma, où elle avait vu "L'Odyssée de Pi" dans un centre commerrcial. Elle rentrait chez elle avec son petit ami, après la tombée de la nuit. 

"Lorsque +Bharat+ (qui désigne l'Inde traditionnelle) devient +Inde+ à cause de l'influence de la culture occidentale, ce type de choses se produit", a déclaré Mohan Bhagwat, dirigeant d'un des principaux groupes fondamentalistes hindou, le RSS. 
Un responsable du parti du Congrès, au pouvoir, Digvijay Singh, a accusé le RSS de "vouloir nous ramener au 18e siècle". Mais les déclarations de Bhagwat reflètent la pensée de nombre de chefs de villages, voire de responsables politiques. 

Le fils du président de l'Inde, Abhijit Mukherjee, également parlementaire du parti du Congrès, a ainsi déclaré que les femmes qui manifestaient contre le climat d'insécurité étaient "maquillées" comme des voitures volées. 

Pour Reicha Tanwar, directrice du Centre de recherche des études sur les femmes de l'Haryana, l'attitude dans l'Inde rurale, notamment les Etats du nord, pourrait bien faire un bond en arrière à la suite de cette affaire.
"Ils brident encore plus les filles, et (veulent) qu'elles ne sortent plus, qu'elles ne voyagent plus seules, qu'elles ne fassent pas de bicyclette, qu'elles n'aient pas de portable et qu'elles ne parlent pas aux garçons", dit-elle à l'AFP. 

Quant aux idées des chefs de village sur la sécurité des filles --qui se résument parfois à +il leur arrive ce qu'elles méritent+--, "elles ont été renforcées", ajoute-t-elle. 

Les conseils des villages et les "kap panchayats" --des groupes informels constitués des plus anciens-- exercent une forte influence sur les règles de vie en milieu rural, notamment dans le nord du pays, où ils sont parfois accusés par les militants progressistes de prendre des décisions dignes des talibans. 

 

Les rares statistisques sur le sujet démentent l'idée selon laquelle la proximité entre filles et garçons et l'affaiblissement des structures sociales en ville augmentent les viols.
Selon le Bureau indien des statistiques sur les crimes, 2.579 plaintes pour viol ont été déposées dans les 53 villes principales du pays en 2011, sur un total de 24.026 plaintes, soit une plainte sur dix en milieu urbain.
Et ces chiffres sous-estiment vraisemblablement le nombre de viols à la campagne, où la victime porte rarement plainte par peur du stigma social, plus forte qu'en ville. 

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