lundi 23 avril 2012

Le vote des Français de Pondichéry, à l'ombre du souvenir colonial



PONDICHERY, 22 avr 2012 (AFP) - A Pondichéry, jadis comptoir choyé de la Compagnie des Indes, les habitants devenus Français pour des raisons historiques votaient dimanche pour élire le président d'une ancienne puissance coloniale dont certains ignorent encore jusqu'à la langue. 

Après des siècles d'administration française, un traité du 16 août 1962 entérinant la rétrocession à l'Inde de cet ancien comptoir posé sur le golfe du Bengale offrit à la population de renoncer à la nationalité indienne. Sur les 70.000 ayant-droits, 7.000 dirent "oui" à la France.
Seule communauté des Français de l'étranger à ne pas être formée d'expatriés, les "Franco-Pondichériens", qui représentent aujourd'hui 70% des 9.600 Français vivant en Inde, n'ont parfois jamais vu leur pays "bleu-blanc-rouge", à 9.000 km de ce petit port tranquille du sud indien où l'on parle tamoul.
Mais une élection présidentielle ne s'oublie pas : dès l'ouverture des quatre bureaux de vote, des files d'électeurs transpirant sous une chaleur accablante patientaient pour voter au coeur de la "ville blanche", évoquant leur fierté.
"Je suis citoyenne française, j'ai le droit et le devoir de voter", résume Marie Jeanne d'Arc, sari vert bouteille et boucle d'oreille au nez, tandis que des policiers en képi rouge surveillent le flux d'un oeil morne.
Pour se sentir Français à part entière, les Pondichériens avaient pu choisir leur nom patronymique et certains se sont attribués des noms empruntés à leur héros ou à de grands auteurs, comme Racine ou Corneille. D'autres, de milieu plus modeste, se nommèrent avec des mots usuels, comme les jours de la semaine.
Certaines familles sont aussi devenues françaises au XIXe siècle, après avoir accompli l'"acte de renonciation" à la nationalité indienne. 
"Je suis venu voter pour prouver que je suis français", murmure Srinivasan, 96 ans, tunique blanche et parapluie noir, le front orné d'un bindi vermillon, avant de repartir vers l'avenue Goubert, sur le front de mer.
Mme Jeanne d'Arc, 73 ans, affirme avoir voté pour François Hollande "parce que je veux du changement", dit-elle en tamoul, en montrant un papier chiffonné où un proche lui a écrit, pour éviter toute erreur, le nom du candidat en français à côté du nom transcrit en langue locale.
Car de nombreux Pondichériens, dont certains appartenaient autrefois à l'une des plus basses castes indiennes, ne savent ni lire ni parler français et voter peut vite devenir une opération complexe.
"La loi interdit de parler une autre langue que le français dans un bureau de vote mais les présidents de bureaux ont accepté d'expliquer en tamoul aux électeurs qu'ils pouvaient prendre au minimum deux bulletins et dix au maximum", témoigne Prédibane Siva, délégué de bureau au consulat.
"Si on ne fait pas ça, il faudrait deux jours pour voter à Pondichéry !", sourit ce responsable du comité de soutien UMP, qui a organisé le mois dernier des réunions pour sensibiliser les électeurs en diffusant les meetings de Nicolas Sarkozy enregistrés sur internet pendant la campagne.
Pour Roopini Balasurbramanian, 18 ans, cette élection est une première.
"Je ne suis jamais allée en France, je ne connais pas beaucoup la politique mais je dois voter pour mon pays, c'est ma responsabilité", assure cette jeune fille à la longue tresse ornée de fleurs de jasmin.
"Mon grand-père, qui reçoit le journal français une fois par mois, m'a expliqué que j'avais le choix entre deux candidats: Nicolas ou François", poursuit en anglais Roopini, gardant secrète sa décision.
A la section PS de Pondichéry, les militants, forts d'un budget de 1.500 euros accordé par la rue de Solférino, ont imprimé des tracts à l'effigie de François Hollande avec un message en français et un autre en tamoul, au verso, qu'ils ont distribués en faisant du porte-à-porte.
Prosper Emmanuel, l'un des responsables socialistes, reconnaît que le vote des habitants est assez simple: "C'est soit Sarkozy, soit Hollande. Ici, il n'y a pas de comité de soutien à M. Bayrou ou aux extrêmes".
En 2007, Ségolène Royal était arrivée en tête au deuxième tour, avec 53 voix d'écart, une première dans ce fief réputé gaulliste où l'on aime à rappeler qu'après l'appel du 18 juin 1940, les Pondichériens furent les premiers volontaires à débarquer à Toulon pour défendre "leur pays".

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