NEW DELHI, 10 juil 2012 (AFP)
Ram Singh, 17 ans, ne gagne qu'un dollar par jour avec les cent tasses de thé
qu'il vend devant la gare de New Delhi, mais tous les soirs, après avoir
remballé ses affaires, il passe à la banque déposer près de la moitié de son
maigre revenu.
Le jeune homme possède un compte dans une banque
spéciale, créée pour les enfants des rues en Inde -- et en partie gérée par eux
-- qui veut garder en sécurité ces sous âprement gagnés. Et instiller l'idée
que, quel que soit l'argent qu'on gagne, il faut l'épargner.
Ram, l'un des millions d'enfants
des rues employés à des basses besognes pour survivre, se dit déterminé à ce que
son travail lui rapporte un capital lui permettant de créer une entreprise.
"Je suis futé, mais cela ne
suffit pas à monter une affaire. Je mets de l'argent de côté tous les jours pour
me lancer tout seul. Un jour bientôt", lance le jeune homme tout en servant des
tasses de "chai", du thé au lait aux épices, sous une chaleur torride dans la
gare grouillante de monde.
La banque, Children's Development
Khazana (Coffre au trésor, en hindi), a ouvert ses premiers bureaux à New Delhi
en 2001, avant de se développer dans tout le pays et même à l'étranger. Elle
compte aujourd'hui 300 branches en Inde, au Népal, au Bangladesh, en
Afghanistan, au Sri Lanka et au Kirghizstan.
New Delhi en compte 12 pour un
total de 1.000 "clients", âgés de 9 à 17 ans.
Les guichets sont installés dans
des centres d'hébergement où les enfants peuvent dormir, manger gratuitement et
suivre des cours comme à l'école.
Les branches sont essentiellement
gérées par et pour des enfants: tous les six mois, les "clients" titulaires d'un
compte élisent parmi eux deux responsables bénévoles.
"Les enfants qui gagnent de
l'argent en mendiant ou en vendant de la drogue ne sont pas autorisés à ouvrir
un compte. Cette banque n'est ouverte qu'à ceux qui croient au dur labeur",
explique Karan, 14 ans, l'un des responsables.
Pendant la journée, Karan gagne
sa pitance en faisant la plonge lors de mariages ou de fêtes. Le soir, il s’assoit derrière un guichet pour collecter l'argent des clients et actualiser
leurs comptes.
"Certains titulaires veulent
retirer leur argent. Je leur demande pourquoi et le leur rends si les autres
enfants sont d'accord. L'épargne de chacun est rémunérée à hauteur de 5%",
détaille l'adolescent.
Un adulte, membre du personnel,
est toujours présent lors de la réception de l'argent après chaque journée de
travail. C'est lui qui dépose ensuite l'épargne collectée dans une banque
publique "normale" qui les rémunérera avec un taux d'intérêt.
Pour Sharon Jacob, qui travaille
dans l'association caritative Butterflies, à l'origine de l'initiative,
l'idée est de faire prendre conscience aux enfants qu'ils peuvent agir sur leur
avenir.
"Ils travaillent dans des
magasins comme camelots ou portiers mais ils n'ont jamais eu de lieu sûr où
placer leur argent. Ils étaient toujours escroqués ou se faisaient voler",
souligne-t-elle.
"Maintenant, ils peuvent placer
leur argent en toute sécurité et ils apprennent comment gérer leurs finances,
tenir un budget. On leur apprend aussi le fonctionnement de la démocratie",
détaille-t-elle.
Le travail des mineurs est
officiellement illégal en Inde mais des millions de garçons et de filles n'ont
d'autre choix pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Beaucoup
ont quitté leur campagne, fuyant la pauvreté ou des familles violentes, pour
trouver du travail dans les grandes villes.
"J'ai fui la maison à 11 ans
parce que mon père m'avait battu pour avoir volé un appareil ménager", confie
Samir, 14 ans, employé dans un "sweatshop", un atelier où la main d'oeuvre est
exploitée. "Pendant des jours, j'ai dormi sur un quai de gare. J'ai été battu
par la police, harcelé par des dealers. Je voulais rentrer chez moi mais j'avais
honte".
Aujourd'hui, Samir possède un
compte dans la banque et vient dormir dans l'un des centres d'hébergement de New
Delhi.
"En sept mois, j'ai épargné 4.000 roupies (70 dollars). Ca fait
du bien d'avoir un peu d'argent. Je vais acheter une chemise et une montre pour
mon père et les lui envoyer pour m'excuser. Il va peut-être me pardonner et me
demander de revenir à la maison", espère-t-il.
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